Marre de procrastiner ? Cacher votre smartphone n’est pas la solution

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Pourquoi ranger votre smartphone ne résout pas votre distraction au travail

Nous avons tous testé cette astuce un jour ou l’autre : glisser notre téléphone dans un tiroir, le mettre en mode avion, voire l’oublier chez soi dans l’espoir de booster notre productivité. Et pourtant, force est de constater que, malgré tous nos efforts, la concentration reste fuyante. Selon une étude récente de la London School of Economics, le problème ne réside pas tant dans le téléphone lui-même que dans la manière dont nous avons appris à l’utiliser.

Un cerveau reconfiguré par l’usage numérique

Maxi Heitmayer, chercheur et coauteur de l’une des études les plus intrigantes publiées dans la revue Frontiers in Computer Science, avance une hypothèse contre-intuitive mais percutante : “Ce n’est pas l’outil, c’est notre rapport à l’outil qui pose problème.”

Au fil des années, notre interaction constante avec des applications conçues pour capter notre attention, souvent à notre insu, a profondément influencé notre architecture cognitive. Pour faire simple : nos cerveaux ont été entraînés à chercher activement la distraction. Même sans notification, nous « scrollons », cliquons, explorons… pas toujours consciemment.

Un protocole d’étude pour comprendre nos comportements numériques

L’équipe dirigée par Heitmayer a mis en place une expérience pour mieux cerner le phénomène. Voici les grandes lignes :

  • 22 volontaires, âgés de 22 à 31 ans
  • Deux journées de travail de 5 heures dans une salle insonorisée
  • Matériel personnel autorisé : ordinateurs portables, téléphones, etc.
  • Jour 1 : smartphone sur le bureau
  • Jour 2 : smartphone placé à 1,5 mètre

Et devinez quoi ? Quand le téléphone était hors de portée, les participants se tournaient tout simplement vers leur ordinateur pour se distraire. En moyenne, ils consacraient 3,5 heures à leurs tâches professionnelles et environ 1,3 heure à des activités non liées au travail (navigation sur le web, réseaux sociaux, etc.).

La racine du problème : l’habitude, pas l’objet

“Le problème n’est pas le téléphone, mais les habitudes et réflexes que nous avons développés autour de lui.” — Maxi Heitmayer

C’est là que le bât blesse. Nous avons peu à peu mis en place des réflexes mentaux : un léger stress, une pause café, une idée interrompue… et hop, on déverrouille l’écran, parfois sans même s’en rendre compte. Nos comportements numériques ressemblent alors aux tics nerveux d’un pianiste anxieux, insaisissables mais bien ancrés.

Des applications conçues pour être… irrésistibles

Les réseaux sociaux, messageries instantanées et autres jeux mobiles ne sont pas conçus au hasard. Ils sont travaillés, peaufinés, testés en laboratoire comportemental pour déclencher la réponse dopaminergique idéale : celle qui fait que vous revenez. Encore. Et encore.

Les mécanismes qui se cachent derrière l’addiction numérique s’apparentent aux systèmes de récompense qu’on retrouve chez les joueurs compulsifs ou dans la consommation de substances. Notifications visuelles, sons agréables, félicitations virtuelles, le tout enjolivé par l’imprévisibilité qui garantit l’effet « machine à sous ».

Une bataille inégale… mais pas perdue

Heitmayer tire la sonnette d’alarme : “C’est une bataille profondément asymétrique. Nous sommes des utilisateurs isolés face à des entreprises avec des armées d’ingénieurs”.

Mais alors… que faire, concrètement ? Voici quelques pistes réalistes :

Stratégies personnelles à petite échelle

  • Configurer des périodes silencieuses automatiques : sur iOS comme Android, il est possible de définir des “heures de calme”. Faites-le !
  • Utiliser des applications de rappel de temps d’écran : elles permettent de prendre conscience de votre usage quotidien. C’est déjà beaucoup !
  • Éloigner physiquement l’appareil : même si cela ne suffit pas à lui seul, cela peut réduire les interruptions passives.
  • Écrire sur papier ! une liste à faire claire pour canaliser votre attention sur des objectifs tangibles.

Des solutions sociétales plus ambitieuses

Heitmayer appelle également à une régulation plus rigoureuse du design des applications, et notamment ceux qui s’adressent à un public jeune et vulnérable. Il propose même une idée peu discutée : la notation des applications en fonction de leur niveau de “capture attentionnelle”. Un système d’étiquetage, en somme, comme ce que font certains pays avec les aliments transformés ou l’alcool.

Un équilibre à réapprendre

En définitive, reconnaître que nos comportements numériques ne sont pas anodins, c’est commencer à concevoir une éthique personnelle de notre consommation digitale. Accepter que nos téléphones sont devenus des extensions de notre cerveau, mais des extensions manipulées, c’est poser la première brique d’une nouvelle hygiène mentale.

Comme le souligne Heitmayer : “Ces appareils sont formidables, puissants, créatifs. Mais ils comportent un coût mental que même les adultes peinent à maîtriser.” Ce n’est pas un appel à diaboliser la technologie, mais à réinstaurer une forme de souveraineté de l’attention.

Et vous, la prochaine fois que vous vous surprendrez à faire défiler les stories Instagram en pleine réunion Zoom… saurez-vous pourquoi ?

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