Secrets pontificaux : comment les papes choisissent leur nom au moment du conclave

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Pourquoi les papes changent-ils de nom ? Une tradition millénaire aux racines profondes

Habemus Papam. Ces mots latins, « Nous avons un pape », résonnent à travers la place Saint-Pierre dans un moment d’intense émotion. Une fumée blanche s’élève dans le ciel romain, et les regards se tournent vers le balcon central de la basilique. Toutefois, au-delà de cette annonce solennelle, une question cruciale se glisse dans le déroulement du rite : Quel nom choisira le nouveau pape ?

Car ce nom ne tombe pas du ciel. Il est le fruit d’une réflexion profonde, d’un ancrage théologique millénaire, parfois même d’un geste discret d’humilité ou d’un message de réforme adressé au monde entier.

Le choix du nom papal : entre tradition et intention spirituelle

Prendre un nouveau nom à l’instant même où l’on devient le chef visible de l’Église catholique n’est pas un simple clin d’œil liturgique. Il s’agit, en réalité, de la toute première décision théologique, spirituelle et symbolique qu’un pape prend dans l’exercice de ses nouvelles responsabilités.

Le nom adopté révèle souvent :

  • Une inspiration spirituelle particulière — par exemple, saint François d’Assise, comme pour le pape François.
  • Un souhait de continuité — comme le double héritage Jean-Paul, repris par deux papes successifs.
  • Une volonté de réforme ou de paix, comme Benoît XVI en référence à Benoît XV et au renouveau monastique.
  • Une autorité doctrinale affirmée — à l’image du tout nouvel élu Léon XIV, qui fait écho à Léon le Grand.

Dans la culture biblique et monastique, changer de nom, c’est toujours changer de destin. C’est entrer dans un autre état de vie, choisir une mission, embrasser une transformation existentielle.

Origines bibliques : Quand Dieu change le nom, c’est pour une mission

Le changement de nom dans la Bible indique souvent une réorientation complète de la vocation d’une personne. Voici quelques exemples édifiants :

  • Abram → Abraham (Genèse 17:5) : « Je fais de toi le père d’une multitude de nations. »
  • Jacob → Israël (Genèse 32:28) : après sa lutte avec l’ange, il reçoit un nom qui portera le peuple hébreu.
  • Simon → Pierre (Matthieu 16,18) : nommé « la pierre » sur laquelle Jésus bâtira son Église, marquant ainsi le premier pontificat symbolique.

Puis, à partir du IIIe siècle, les moines aussi abandonnent leur nom profane lorsqu’ils prennent l’habit religieux, marquant leur rupture avec le monde. Le nom devient déclaration, prière, programme de vie.

L’instauration d’une tradition ecclésiale

Fait peu connu : les premiers souverains pontifes gardaient leur nom de baptême. C’est au VIe siècle, avec le pape Mercurius, que les choses changent. Élu en 533, son nom d’origine païenne, dérivé du dieu romain Mercure, paraissait inapproprié. Il devint Jean II, donnant naissance à une tradition qui ne s’est plus interrompue depuis le Xe siècle.

Comment se fait le choix du nom ?

Une fois la majorité requise atteinte lors du conclave (deux tiers des votes des cardinaux) le cardinal élu est conduit à une pièce attenante à la chapelle Sixtine : la Sacristie des Larmes. C’est là, dans une atmosphère de silence sacré, qu’il est interrogé par le doyen du Collège cardinalice :

« Quo nomine vis vocari ? » (« Sous quel nom veux-tu être connu ? »).

À ce moment précis, le cardinal devient pape. Il choisit son nom seul, sans conseil ni vote. Ce sera son premier acte autonome, et probablement l’un des plus symboliques de tout son pontificat.

Exemple récent : Le nom de Léon XIV

Lorsque le cardinal Robert Prevost, un membre influent de la Congrégation pour les Évêques, a été recemment élu pape en 2025, il a choisi de s’appeler Léon XIV. Un choix évocateur faisant référence à Léon le Grand (Ve siècle), docteur de l’Église, qui affirma l’autorité papale pendant des temps troublés, et à Léon XIII, promoteur de la doctrine sociale de l’Église. Par ce choix, le nouveau pape indique dès le départ une volonté d’exercer un magistère ferme durant les crises contemporaines.

La symbolique derrière les noms les plus fréquents

Certains noms ont marqué l’histoire papale de manière indélébile. Voici un tour d’horizon des grandes figures associées à ces noms :

📜 Jean – L’évangélisateur et réformateur

  • Jean XXIII (1958-1963) : surnommé « le Bon Pape », il a convoqué le Concile Vatican II.
  • Jean-Paul Ier et Jean-Paul II : double nomination inédite, en hommage aux pionniers du Concile, marquant une volonté de continuité et d’innovation pastorale.

📖 Grégoire – L’homme de doctrine et de réforme

  • Grégoire le Grand (590-604) : célèbre pour ses réformes liturgiques et sa vision d’une Église universelle structurée.

🕊 Benoît – Paix, ordre et tradition

  • Benoît XV (1914-1922) : pape de la paix durant la Première Guerre mondiale.
  • Benoît XVI (2005-2013) : intellectuel raffiné, défenseur du dialogue foi-raison et gardien des fondements doctrinaux.

🦁 Léon – Force théologique, audace diplomatique

  • Léon Ier le Grand : créateur du modèle de la primauté romaine ; confronté aux empereurs et aux invasions.
  • Léon XIII : rédacteur de l’encyclique Rerum Novarum (1891) posant les bases de la doctrine sociale de l’Église moderne.

Un nom, un programme de Pontificat

Le nom papal est davantage qu’un badge protocolaire.

C’est :

  • La première réponse publique à un appel divin.
  • Un code symbolique qui guide la lecture du pontificat à venir.
  • Un clin d’œil à l’histoire, mais tourné vers le futur.

Ce mot unique, Léon, François, Jean-Paul, devient en quelques instants un emblème de 1,3 milliard de catholiques, et un signe adressé au monde sur l’orientation que prendra la spiritualité universelle.

Dans un monde où tout change à grande vitesse, le fait que l’Église continue de valoriser un nouveau nom comme déclaration d’intention témoigne de la force de ses traditions. Ce n’est pas de la nostalgie. C’est une manière subtile, mais puissante, d’aligner passé, présent et mission future dans une seule parole. Un nom, Une vision, Une Église en marche.

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