vendredi, mai 30

Quand l’IA fait (presque) tout : le prix psychologique de l’automatisation

Quand l’intelligence artificielle pense à votre place : progrès ou péril cognitif ?

Dans un monde où les machines nous aident à écrire, communiquer et raisonner, sommes-nous en train de perdre ce qui fait de nous des êtres pensants ?

L’essor des assistants cognitifs automatisés

Nous vivons une époque où une simple commande suffit pour qu’un algorithme rédige un texte fluide, corrige nos fautes ou formule nos idées. Des outils comme ChatGPT, Google Gemini ou encore Microsoft Copilot accomplissent en quelques secondes des tâches qui nécessitaient auparavant réflexion, révision et effort intellectuel.

Autrefois, écrire un e-mail demandait de choisir ses mots, calibrer son ton, structurer ses arguments. Aujourd’hui, une commande à une IA suffit. Et si cela paraît à première vue comme un gain de productivité, il y a un revers à la médaille…

Automatiser sa pensée : un confort qui coûte cher

Utiliser l’IA pour automatiser nos réponses et notre écriture n’est pas en soi problématique. Mais ce qui l’est, c’est l’accoutumance passive à ce confort. Plus nous permettons à l’intelligence artificielle de penser à notre place, plus notre propre capacité à réfléchir, vraiment réfléchir, s’érode.

Un phénomène précis se cache derrière ce comportement : le déchargement cognitif. Cela décrit notre tendance à déléguer notre pensée à des outils extérieurs pour réduire l’effort mental. Ce n’est pas fondamentalement nouveau. Par exemple :

  • ⏱ Nous utilisons des GPS plutôt que de mémoriser des itinéraires.
  • 🧮 Nous faisons confiance à nos calculettes pour des opérations simples.
  • 🗂 Et maintenant, nous laissons l’IA rédiger nos lettres de motivation et nos bilans professionnels.

Le souci, c’est que cette délégation massive mène à un affaiblissement global de certaines fonctions cognitives essentielles.

Des études préoccupantes sur les effets de l’IA sur l’esprit humain

Une recherche menée conjointement par Microsoft et Carnegie Mellon University montre que les utilisateurs assidus d’IA développent des déficits subtils mais réels en matière de pensée critique. Autrement dit, ils perdent cette capacité si précieuse à remettre en question, à nuancer ou à argumenter de manière structurée.

Selon les chercheurs, l’usage récurrent de l’IA affaiblit notamment :

  • ✏ La précision dans le choix des mots
  • 🤔 La confiance à formuler une pensée autonome
  • 🧠 Le vocabulaire actif utilisé en conversation naturelle

Exemple concret : Le journaliste Sam Schechner du Wall Street Journal a expérimenté cela personnellement. En utilisant ChatGPT pour rédiger ses messages en français, il a fini par perdre sa fluidité en langue française, une compétence chèrement acquise au fil des années à Paris. Il résume l’expérience ainsi : L’intelligence artificielle dévorait mon cerveau. Phrase choc, mais apparemment littérale.

Le cerveau fonctionne selon le principe de « l’utiliser ou l’oublier »

Notre cerveau, par nature, cherche à optimiser sa consommation d’énergie. Si une fonction n’est plus sollicitée régulièrement, il la met au rebut. C’est ainsi qu’on oublie une langue qu’on ne parle plus, ou qu’on perd l’habitude de calculer sans aide.

Utiliser l’IA pour nous assister ponctuellement, rien de mal à cela. Cependant, la ligne est mince entre l’assistance et la substitution cognitive.

Et c’est là que réside le danger : lorsque nous cessons de faire ce que nous savions faire, non pas par incapacité, mais par désuétude mentale. Avec le temps, les compétences langagières, la logique argumentative et même la clarté de pensée peuvent s’émousser.

Comment utiliser l’IA intelligemment sans affaiblir son esprit ?

L’IA peut être une véritable alliée si on lui assigne le bon rôle. Voici quelques bonnes pratiques concrètes pour garder votre cerveau affûté tout en profitant des avantages de l’automatisation :

  • Utilisez l’IA comme assistant, pas comme auteur : demandez un plan ou une structure, puis rédigez le contenu vous-même.
  • Prenez le temps de reformuler : même si l’outil vous fournit une solution, prenez quelques secondes pour la réécrire avec vos mots.
  • Jouez le jeu mental : Avant de demander une réponse à un chatbot, essayez de la formuler à l’oral ou par écrit. Ensuite, comparez.
  • Réservez certaines tâches « à l’ancienne » : rédigez un mail important manuellement ou tenez un journal personnel sans IA.
  • Apprenez en copiant… puis en transformant : Inspirez-vous du style de l’IA, mais injectez votre propre tournure, votre vocabulaire, vos subtilités.

Et surtout, posez-vous cette question avant chaque automatisation :

« Puis-je accomplir cela sans aide ? »

Si la réponse est oui, tentez au moins. Vous serez surpris de ce que vous êtes encore capable de faire.

Entre outil et dépendance, une ligne ténue

L’intelligence artificielle ne vole pas notre intelligence. Mais elle nous donne une excuse silencieuse pour ne plus l’exercer. Et à force de ne plus s’en servir, notre pensée s’atrophie, comme un muscle désentraîné. L’IA rend plus de choses possibles. Mais elle rend aussi certaines choses superflues. Et ce sont parfois celles qu’il faudrait chérir le plus : réfléchir, écrire, structurer et s’exprimer, en tant qu’être humain pensant.

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