
Les spores fongiques dans la stratosphère : un voyage inattendu
Quand la vie défie les limites de l’atmosphère
Qui aurait imaginé que des organismes microscopiques, les spores fongiques, pouvaient littéralement voyager au sommet du monde, là où l’air devient si mince que la vie s’efface presque totalement ? Pourtant, ces voyageurs invisibles, dont on sous-estime souvent la résilience, naviguent à des altitudes ahurissantes, bien au-delà de la trajectoire des avions de ligne classiques. Explorons ensemble les mécanismes et les mystères de ce périple insoupçonné.
Des conditions extrêmes et des champions de la survie
La stratosphère, une couche de l’atmosphère située au-dessus de la troposphère, débute environ à 12 000 mètres d’altitude et peut grimper jusqu’à 50 000 mètres. Là-haut, le monde est hostile :
- Les températures chutent parfois à -60°C ou moins ;
- La pression atmosphérique devient quasi nulle ;
- Les rayons ultra-violets (UV) frappent sans obstacle… Bref, un cocktail mortel pour la plupart des êtres vivants.
Mais certaines spores fongiques, grâce à leur enveloppe protectrice et à un métabolisme quasiment en veille, survivent à ces conditions dantesques.
Un mini-laboratoire embarqué : la science à la conquête du ciel
Afin de vérifier la présence de ces spores, une équipe de chercheurs de l’Université de Genève a imaginé une méthode ingénieuse et peu coûteuse. Ils ont conçu un mini-laboratoire placé à bord de ballons météorologiques envoyés chatouiller la stratosphère. Voici, en quelques points, leur dispositif :
- Un baromètre, indispensable pour mesurer l’altitude précise ;
- Des composants électroniques pour automatiser l’ouverture du conteneur à une hauteur définie ;
- Un réceptacle stérilisé garni de vaseline et d’allumettes stériles, prêt à capturer les spores présentes dans l’air rare.
À environ 12 000 mètres, le système s’active : le conteneur s’ouvre, l’air circule ensuite autour des allumettes stérilisées contenant de la vaseline permettant aux spores de s’y déposer.
A 12 000 mètres d’altitude, le conteneur se referme et est finalement ralenti par un parachute. De cette façon, les spores fongiques stratosphériques peuvent être renvoyées à la surface de la Terre sans contamination.
À 35 000 mètres, le ballon explose (rassurez-vous, c’est prévu !), et la capsule entame sa descente. A 12 000 mètres d’altitude, le conteneur se referme afin de prévenir toute contamination par des spores présentes à plus basse altitude. Le conteneur est finalement ralenti par un parachute avant d’atterrir.
Des autostoppeuses intercontinentales : conséquences et risques
Grâce à ces expéditions diverses, les chercheurs ont catalogué pas moins de 235 genres de spores fongiques. Et parmi ces micro-invités, certains sont loin d’être inoffensifs :
- Des agents pathogènes capables d’infecter les humains, notamment les personnes immunodéprimées ;
- Plusieurs spores néfastes pour les cultures agricoles, dont un ravageur notoire des mûres et des carottes au Japon et aux Etats-Unis.
Au laboratoire, sur 15 genres de spores cultivées, plusieurs se sont révélées viables et potentiellement nuisibles :
- Pour la santé humaine ;
- Pour l’économie agricole, en facilitant la dispersion transcontinentale des maladies fongiques.
Des questions ouvertes… et beaucoup d’inconnues
Ces premiers résultats sont simplement la partie émergée de l’iceberg. Les implications sont majeures, aussi bien pour la prévention des pandémies agricoles et humaines que pour la compréhension de la dynamique atmosphérique.
- Comment évolue la population de spores selon les saisons ou les événements climatiques, comme les éruptions volcaniques et les incendies de forêt?
- Ces spores pourraient-elles jouer un rôle, même marginal, dans la formation des nuages ou le cycle du carbone global ?
- Quelles sont les marges d’erreur de détection ; existe-il des spores totalement inconnues qui échappent encore à nos radars ?
Des campagnes d’échantillonnage régulières sont envisagées pour différencier les tendances saisonnières, mais aussi pour relier les épisodes de pollution ou de catastrophes naturelles à la dispersion des spores.
En définitive, la découverte de ces véritables “astronautes du monde fongique” dans la stratosphère bouleverse nos images traditionnelles de la dispersion biologique. Le ciel, loin d’être un simple « toit » pour la biosphère, semble désormais jouer le rôle d’autoroute rapide pour ces organismes. Le défi des prochaines années sera de quantifier ce phénomène, de l’anticiper et, il faut bien le dire, de s’en inspirer pour la biosécurité mondiale.
Sources : Science.org