Entre 660 et 750 de notre ère, l’Angleterre anglo-saxonne a connu une prospérité commerciale qui a entraîné une augmentation considérable de l’utilisation des “pennies” en argent. Environ 7 000 de ces pièces ont été recensées, soit autant que pour toute la période anglo-saxonne (du Ve siècle à 1066 de notre ère).
Pendant longtemps, les experts se sont demandés d’où provenait l’argent utilisé pour fabriquer ces pièces. Récemment, le professeur Rory Naismith de l’université de Cambridge et ses collègues ont résolu le mystère en analysant la composition des pièces conservées au Fitzwilliam Museum. Ils ont étudié une sélection de pièces provenant d’Angleterre, des Pays-Bas, de Belgique et du nord de la France, moins étudiées jusqu’à présent.
Les chercheurs ont d’abord analysé les traces minérales présentes dans 49 pièces datant de 660 à 820 de notre ère, puis ont prélevé des échantillons microscopiques pour une analyse plus approfondie. Les résultats ont montré que ces pièces contenaient principalement de l’argent provenant de l’Empire byzantin de la Méditerranée orientale, datant du IIIe au début du VIIe siècle. Cette découverte apporte un nouvel éclairage sur le commerce de l’argent durant cette période et confirme l’influence de l’Empire byzantin sur l’économie de l’Angleterre anglo-saxonne.
L’argent des premières pièces frappées dans le nord de l’Europe est homogène et riche en or (0,6-2 %), et possède une gamme isotopique cohérente, sans variation notable entre les pièces. Aucun gisement européen connu ne présente ces caractéristiques élémentaires et isotopiques, et il n’y a pas de chevauchement significatif avec l’argent de la fin de l’époque romaine occidentale ou d’autres objets.
Selon le professeur Naismith, cela confirme ses théories proposant l’origine byzantine de ces pièces il y a dix ans.
“C’est une découverte passionnante ! Aujourd’hui, nous avons la première preuve archéométrique que l’argent byzantin était la source principale de cette vague de frappe et de commerce au septième siècle dans la région de la mer du Nord”, a-t-il déclaré.
Jane Kershaw de l’Université d’Oxford, a également souligné l’importance de ces pièces qui témoignent de la reprise de l’économie nord-européenne après la chute de l’Empire romain.
“Elles témoignent des liens commerciaux étroits entre la France, les Pays-Bas et l’Angleterre de l’époque”, a-t-elle ajouté.
Les chercheurs précisent que cet argent était probablement introduit en Europe occidentale des décennies avant d’être fondu, car le septième siècle a connu une baisse des échanges commerciaux et des contacts diplomatiques. Selon le professeur Naismith, il est probable que les élites anglaises et françaises possédaient déjà cet argent à l’époque, comme en témoignent des objets tels que les bols d’argent de Sutton Hoo et les ornements de l’orreiller de Staffordshire.
Le fait que l’argent ait été transformé en pièces d’argent indique l’existence d’une demande croissante de monnaie et d’argent dans la société, suscitée par des changements sociaux importants.
“La transformation de ces objets de prestige en pièces de monnaie montre un besoin urgent de liquidités de la part des rois et des seigneurs. Cela a eu un impact considérable sur les échanges et les activités liées à l’argent, impliquant une plus grande partie de la société qu’avant”, explique le Dr Kershaw.
Les chercheurs espèrent également explorer les raisons pour lesquelles tant d’argent a été transféré de l’Empire byzantin vers l’Europe occidentale, supposant que cela pourrait être dû à un mélange de commerce, de paiements diplomatiques et de mercenaires anglo-saxons servant dans l’armée byzantine. En outre, cette découverte suscite également des questions sur la façon dont et où l’argent était stocké et pourquoi ses propriétaires ont soudainement décidé de le transformer en pièces de monnaie.
La deuxième découverte majeure de l’étude est la diminution de l’utilisation de l’argent byzantin en faveur d’une nouvelle source. L’équipe a analysé 20 pièces de monnaie de la seconde moitié de la période (750-820 CE) et a constaté que l’argent était très différent, avec de faibles niveaux d’or caractéristiques de Melle, dans l’ouest de la France. Les données radiocarbone montrent une exploitation minière intensive à Melle aux VIIIe et IXe siècles, ce qui explique l’apparition de l’argent de Melle dans les stocks régionaux. Cette nouvelle source a été mélangée avec des stocks d’or plus anciens et plus riches, y compris l’argent byzantin.
Dans les pièces frappées près de Melle, la proportion d’or était très faible (moins de 0,01%), tandis que les pièces plus éloignées dans le nord et l’est de la Francie présentaient une proportion d’or allant jusqu’à 1,5%. Le professeur Naismith explique que Melle est devenue une force majeure de production d’argent après l’arrivée de la dynastie carolingienne en 751. Cette hausse soudaine et généralisée d’argent provoquée en partie par l’action de Charlemagne, qui a pris le contrôle de la fabrication des pièces de monnaie dans son royaume.
Un document de 860 révèle que son petit-fils le roi Charles le Chauve a réformé ses pièces, fournissant de l’argent de Melle à chaque atelier pour amorcer la production. Le professeur Naismith suspecte que Charlemagne ait fait quelque chose de similaire. Ces découvertes donnent un éclairage nouveau sur les relations diplomatiques entre Charlemagne et le roi Offa de Mercie en Angleterre.
Les deux rois sont actifs dans le commerce et la gestion de la monnaie, considérant le commerce et la politique comme indissociables. Une lettre envoyée par Charlemagne à Offa en 796 parle du commerce et des exilés politiques en même temps. Ils sont également entrés dans un embargo commercial lorsque des négociations matrimoniales ont mal tourné.
Le professeur Naismith explique que malgré la puissance de Charlemagne, Offa était un acteur important en Europe et ils se considéraient mutuellement comme égaux. Les Anglais étaient conscients que leur argent venait de France et en dépendaient fortement. Les questions de pouvoir et d’intérêt national ont toujours été importantes dans les échanges limités de marchandises au Moyen Âge, et cela impliquait non seulement les dirigeants, mais aussi les riches marchands et les églises.